« Il y a longtemps que le mot d’ordre avait été lancé : « Tous à Kaiseraugst…le samedi suivant ». Cela signifiait : le samedi suivant la décision de Berne.
La décision avait été prise le mercredi 28 octobre 1981. Le rendez-vous des antinucléaires était donc pour le samedi 31. Leur message, c’est la foule. C’est par elle qu’ils entendent s’exprimer.
Tous à Kaiseraugst !
Ils y vont. Et comment. Six ans et demi après la manifestation historique du 6 avril 1975, ils sont plus nombreux que jamais.
Berne nous voilà !
Ils arrivent de partout : en train, en vélo, à pied – très peu en voiture. Les marcheurs se sont mis en route dès le matin, avec leurs banderoles aux inscriptions très explicites.
A partir des premières heures de l’après-midi, le flot est continu. Impressionnant. Un barrage semble s’être rompu quelque part.
Cela coule sans interruption.
A l’apogée de la manifestation, ils sont 20 000. Ils votent une résolution dont la conclusion est : « Centrale de Kaiseraugst : jamais ! »
Mais le meneur de l’extrême gauche s’est fait siffler quand il a proposé – pour le jour J – des mesures à verser au catalogue de la subversion.
Pour pouvoir travailler en paix,
les radios ont installé leurs voitures de reportage, un peu à l’écart de la manifestation, devant la ferme qui jouxte le terrain de la centrale. La paysanne est une hôtesse prévenante. Elle sert le café noir et l’agrémente d’un petit coup de kirsch selon les désirs. Elle n’est pas femme à élaborer de grandes théories, mais ses silences en disent long tout de même.
Cette centrale nucléaire, là, juste à côté de son domaine, ça ne lui fait rien ?
Elle hausse les épaules. Elle ne veut pas parler. Mais elle finit par dire :
– Bien sûr, c’est mieux comme c’est maintenant, mais…
On insiste. Et s’ils la construisent, qu’est-ce qui va se passer ?
Elle hésite. Puis elle lâche soudain, dans un murmure, comme si elle ne s’adressait qu’à elle-même :
– Il y aura des morts.
Elle rassemble les tasses à café qui sont sur la table et les emporte à la cuisine. Près de moi, une remarque :
– On devrait peut-être écouter ce que disent les paysannes… »
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